Bodycheckup

Microbiote intestinal, obésité et surpoids : des liens étroits avérés

Les recherches scientifiques récentes suggèrent que la flore intestinale pourrait jouer un rôle dans le développement de l’obésité, bien que tous les mécanismes ne soient pas encore compris. Cependant, des premières études indiquent qu’une modification du microbiote pourrait aider à prévenir cette maladie chronique et ses complications cardiovasculaires, offrant ainsi de l’espoir aux personnes concernées.

Le microbiote intestinal, constitué de plus de 100 000 milliards de microorganismes, principalement des bactéries, réside dans le tube digestif et joue un rôle crucial dans la santé. Il assure diverses fonctions bénéfiques, telles que la production de vitamines, la dégradation de composés résistants à l’action des enzymes digestives humaines, et la prévention des infections en agissant comme une barrière contre les microbes nocifs. Les chercheurs le considèrent désormais comme un organe à part entière. Au cours des quinze dernières années, grâce aux techniques modernes de séquençage des gènes, les scientifiques ont identifié plus de 1 000 espèces bactériennes différentes appartenant à quatre grandes familles : Firmicutes, Bacteroidetes, Actinobacteria et Protéobacteria. Sa composition varie considérablement d’une personne à l’autre. De nombreuses études scientifiques indiquent qu’un microbiote déséquilibré ou peu diversifié pourrait contribuer au développement de diverses affections telles que les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), le diabète de type 2, les allergies et les troubles neuro-dégénératifs. De plus, le surpoids, l’obésité et leurs complications sont également liés à ce déséquilibre.

Liens entre composition microbiote et surpoids

L’impact de la composition du microbiote sur le surpoids ou l’obésité est bien documenté. Des études préliminaires sur des rongeurs de laboratoire ont montré que le transfert du microbiote de souris obèses à des souris minces les rend obèses en moins de quinze jours. De manière inverse, les souris obèses « dotées » du microbiote de souris minces ont rapidement perdu du poids et de la masse grasse.

Chez l’homme, une étude initiale menée par une équipe de chercheurs américains en 2006 a observé une disparité dans la composition du microbiote entre les adultes obèses et les adultes minces, avec moins de Bacteroidetes et plus de Firmicutes chez les premiers. Bien que certains travaux ultérieurs ne confirment pas ces résultats, des recherches récentes menées au Danemark et en France révèlent que 20 à 40 % des adultes en surpoids ou obèses (jusqu’à 50 % en cas d’obésité sévère) ont un microbiote peu diversifié. Dans l’étude danoise, les individus avec un microbiote pauvre ont pris davantage de poids au cours des 9 années de suivi par rapport à ceux avec un microbiote plus riche. Les scientifiques se concentrent actuellement sur des bactéries clés, notamment Akkermannia muciniphila, dont la présence en grande quantité est associée à une meilleure diversité du microbiote chez les adultes obèses.

Dans le cas des enfants, plusieurs études ont établi un lien entre le surpoids et la composition du microbiote pendant les premiers mois de vie. Par exemple, une cohorte de plus de 11 500 enfants nés au Royaume-Uni et surveillés pendant 7 ans a montré qu’une prise d’antibiotiques au cours des 6 premiers mois de vie était associée à une augmentation significative de l’indice de masse corporelle entre 10 mois et 3 ans. Ces médicaments, qui visent à éliminer les germes nocifs, détruisent également une partie du microbiote, et leur utilisation répétée semble altérer définitivement sa composition. Dans une autre cohorte de 552 enfants norvégiens surveillés pendant 12 ans, la composition du microbiote à l’âge de 2 ans était corrélée avec l’indice de masse corporelle à 12 ans : une faible proportion de Bactéroides ou de Bifidobacterium semblait prédire le surpoids quelques années plus tard. Outre les traitements antibiotiques, les variations observées dans la composition du microbiote peuvent être expliquées par le mode d’accouchement (les naissances par césarienne étant considérées comme défavorables) ou par l’alimentation (l’allaitement semblant protéger contre l’obésité).

Quel lien existe-t-il entre la prise de poids et la composition du microbiote ?

Diverses hypothèses sont avancées pour expliquer comment les bactéries du microbiote pourraient influencer la prise de poids.

Tout d’abord, la digestion par certaines bactéries du microbiote des fibres ou des glucides non décomposés par les enzymes digestives humaines conduit à la production d’acides gras (graisses) qui sont assimilables. Une forte proportion de ces bactéries entraîne une augmentation notable des calories assimilées.

Des études menées sur des rongeurs et des humains montrent que certaines bactéries peuvent influencer l’expression de gènes régulant le stockage ou la combustion des graisses de réserve.

De plus, certaines bactéries du microbiote interfèrent avec la production intestinale d’hormones qui régulent les sensations de faim, de rassasiement et de satiété. Par exemple, les incrétines calment la faim tandis que la ghréline ouvre l’appétit. Un déséquilibre du microbiote peut entraîner une sensation de faim anormale, favorisant ainsi une surconsommation calorique.

Chez les rongeurs et les humains, un déséquilibre entre les Firmicutes et les Bacteroidetes est associé à une capacité accrue d’assimilation des calories au niveau du jéjunum (partie de l’intestin grêle). Des recherches récentes ont également observé une augmentation des possibilités d’assimilation du jéjunum chez les adultes obèses.


Comment agir sur la composition du microbiote pour prévenir ou traiter l’obésité ?

L’obésité est une maladie chronique d’une grande complexité à traiter en raison de ses multiples facteurs. Malgré les promesses initiales, plusieurs médicaments ont été abandonnés faute d’efficacité avérée. Les régimes restrictifs ne constituent pas une solution viable car ils sont souvent suivis d’une reprise de poids, aggravant ainsi la situation. La meilleure approche pour stabiliser le poids reste une alimentation équilibrée associée à une activité physique régulière. Cependant, les recherches récentes sur l’impact du microbiote intestinal offrent de nouveaux espoirs pour des traitements thérapeutiques innovants.

Les connaissances récemment acquises laissent envisager qu’une modification ou un enrichissement du microbiote des personnes concernées pourrait jouer un rôle dans la prévention ou le traitement du surpoids et de l’obésité. Étant donné que l’alimentation semble être un facteur déterminant dans la composition du microbiote, diverses études d’intervention ont évalué l’effet de la supplémentation en prébiotiques ou en probiotiques, ainsi que celui d’un rééquilibrage global du régime alimentaire.

Adjonction en prébiotiques

Les prébiotiques se définissent comme des composés résistants à la dégradation par les enzymes digestives humaines (similaires à des fibres), dont la consommation régulière stimule la croissance ou l’activité de certaines bactéries. Parmi les plus étudiés, on trouve l’inuline et les fructo-oligo-saccharides, disponibles sous forme de compléments alimentaires mais présents également dans certains aliments tels que l’ail, l’artichaut, l’asperge, la banane, la chicorée, l’oignon, le poireau, le salsifis et le seigle.

Leur consommation régulière entraîne une augmentation de la proportion de Bifidobacterium ou de Lactobacillus dans le microbiote. Ces dernières années, ils ont été testés sur de petits échantillons de personnes en bonne santé, en surpoids, obèses ou diabétiques, avec des résultats encourageants : réduction de la sensation de faim et amélioration de la satiété (par modulation des hormones intestinales impliquées), réduction de l’inflammation et du taux sanguin de LPS, diminution de l’insulinorésistance et même perte de masse grasse. Cependant, leurs mécanismes d’action ne sont pas encore entièrement compris et, étant donné qu’ils sont fermentés par certaines bactéries du microbiote, ils peuvent causer des troubles digestifs. Des chercheurs de l’Université de Montréal (Canada), qui ont récemment passé en revue les études existantes, estiment qu’il est nécessaire de mener des études à plus grande échelle afin de confirmer leur efficacité et de déterminer les doses optimales. En attendant d’en savoir plus, il est recommandé de consommer régulièrement les sources naturelles de ces prébiotiques, qui fournissent de nombreux autres nutriments bénéfiques tels que les fibres et les antioxydants.

Adjonction en probiotiques

Les probiotiques sont des microorganismes qui parviennent vivants au niveau de l’intestin et ont un effet bénéfique sur la santé. Ils sont disponibles sous forme de laits fermentés ou de compléments alimentaires. L’analyse de 15 études menées chez l’homme avec diverses souches de Bifidobacterium ou de Lactobacillus montre que dans 85 % des cas, ils permettent de perdre du poids ou de la masse grasse par rapport à un placebo. Dans une étude portant sur des enfants obèses, ils ont augmenté les incrétines (hormones intestinales « coupe-faim ») et réduit la stéatose hépatique (accumulation de graisses au niveau du foie). Cependant, dans de rares cas, certaines souches de Bifidobacterium ou de Lactobacillus peuvent entraîner une prise de poids. D’autres bactéries sont actuellement à l’étude. L’équipe du Pr Cani (Université de Louvain, Belgique), qui travaille sur le microbiote intestinal depuis le début des années 2000, a publié une étude pilote en 2019 utilisant Akkermannia muciniphila. Les adultes en surpoids ou obèses souffrant d’insulino-résistance et ayant reçu la bactérie ont vu leur insulino-résistance et leur niveau d’inflammation diminuer. En trois mois, ils ont en moyenne perdu 2,2 kilos, 1,4 kilo de masse grasse et 2,6 cm de tour de taille. Des chercheurs français de l’unité Inserm de Rouen ont développé un complément alimentaire à base de Hafnia alvei, une bactérie produisant une protéine améliorant la sensation de satiété. Chez des souris obèses hyperphagiques, cette bactérie a permis de réduire la quantité de nourriture ingérée, la prise de poids, la masse grasse et la glycémie. Jusqu’à présent, aucune étude clinique chez l’homme n’a été publiée, mais des personnes en surpoids qui l’ont testée ont constaté une réduction de leur appétit.

En fin de compte, l’ingestion régulière de certains probiotiques pourrait influencer positivement le microbiote et favoriser une perte de poids. Il reste à déterminer avec précision les souches de bactéries et les doses efficaces, car leur efficacité peut varier d’une personne à l’autre en fonction de la composition de son microbiote. Ces microorganismes ne s’établissent pas nécessairement dans le tube digestif, donc des cures régulières sont nécessaires pour maintenir leur effet. De plus, les probiotiques sont déconseillés aux enfants ou aux adultes souffrant d’un déficit immunitaire, qu’il soit congénital, lié à une maladie (lymphome, leucémie…) ou à un traitement médical (immunosuppresseur, corticoïde, chimiothérapie…).

Changement de régime alimentaire

L’effet d’un changement de régime alimentaire a été évalué dans l’étude française MicroObese. Un régime modérément restrictif (1 200 à 1 500 kcal par jour), riche en protéines, en fibres et en glucides à absorption lente, a entraîné une augmentation de 30 % de la diversité bactérienne chez les individus ayant un microbiote peu diversifié. Cependant, après 6 semaines, ce changement n’a pas permis de réduire autant l’insulino-résistance ou le taux de triglycérides sanguins que dans le groupe dont le microbiote était diversifié au départ.

De manière générale, l’analyse des divers régimes alimentaires et de leurs microbiotes associés montre que l’alimentation la plus favorable à un microbiote diversifié correspond à un régime traditionnel, riche en variétés de végétaux, fruits et légumes frais et secs, céréales complètes, et pauvre en viandes, graisses animales et aliments industriels ultra-transformés. Outre son impact sur le microbiote, un tel régime alimentaire est bénéfique pour contenir l’obésité et ses complications. Les fibres des végétaux réduisent la sensation de faim, l’index glycémique des repas et le taux sanguin de LDL-cholestérol. Leurs nombreux antioxydants, vitamines C et E, caroténoïdes, polyphénols, contribuent à la prévention cardiovasculaire.

Ainsi, les différentes études démontrent que le microbiote intestinal peut contribuer au développement de l’obésité. Moduler sa composition fait partie des options thérapeutiques, mais cela ne suffit probablement pas à contrôler cette maladie multifactorielle. Des progrès doivent encore être réalisés pour déterminer la composition idéale du microbiote